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(Blogmensgo, 4 mars 2009) Ce jour marque en France la sortie de deux nouveautés qui créent l’événement : le film Harvey Milk de Gus Van Sant et la première biographie de François Mauriac donnant à l’homosexualité une place centrale dans la vie de l’écrivain français.
Harvey Milk sort donc aujourd’hui en Suisse, en France et dans plusieurs pays d’Europe. C’est aussi aujourd’hui que sort officiellement, chez M6 Éditions, une biographie en français du célèbre activiste gay. Signé Randy Shilts, le livre est la traduction d’une bio publiée pour la première fois en 1982.
[Update : Patrick Cardon, de GayKitschCamp.com, nous signale qu'il présentera le film Harvey Milk aux cinémas Utopia les vendredis 6 mars à 20 h 30 à Saint-Ouen l'Aumone et 13 mars à 20 h à Avignon. Le 12 mars à 20 h 15, il présentera le documentaire The Times of Harvey Milk de Rob Epstein à l'Utopia de Montpellier.] On ne consacrera pas ici un cinquième article au film Harvey Milk. Les quatre articles précédents articles ont été publiés sur le blog gay de MensGo aux dates suivantes :
Signalons toutefois, en complément, la très intéressante faq d’IMDB relative au film de Gus Van Sant, à sa genèse et à son contexte. Le blog Ciné-files de 20minutes.fr prend prétexte de l’événement pour remettre en mémoire trois décennies d’homosexualité au cinéma à travers les films phares de cette époque. J’aurais volontiers remplacé Sagan par Coup de foudre (de la même réalisatrice, Diane Kurys) ou par l’excellent American Beauty, d’un bien meilleur calibre, mais bon…
Et François Mauriac ? Jean-Luc Barré lui consacre un pavé de 676 pages intitulé François Mauriac, biographie intime (1885-1940) (premier tome d’une monumentale biographie). Où l’auteur dévoile une part d’homosexualité beaucoup plus consistante dans la vie du journaliste et romancier français que n’ont bien voulu l’admettre ses précédents biographes. Dixit le prière d’insérer : « En montrant comment la tentation homosexuelle n’a jamais cessé d’être une des données majeures de la sensibilité de l’écrivain, Jean-Luc Barré met en exergue aussi tout ce que son univers romanesque, comme ses combats de polémiste, sa solidarité constante avec les réfractaires et les humiliés, doivent à la conscience de sa singularité intime. » C’est bien ce qu'il me semblait, j’ai toujours préféré en lui le journaliste polémiste à l’écrivain encensé.
Éric Ollivier était connu pour sa beauté hors du commun, pour ses frasques dans le Saint-Germain-des-Prés de l’après-guerre et pour ses qualités de séducteur. Il savait séduire aussi bien les femmes que les hommes. Parmi ces derniers, il recherchait surtout – à l’instar de Montherlant, qu’il citait très souvent et plus volontiers que Mauriac – la compagnie d’adolescents.
Une tranche d’âge qui fut la sienne pendant les années mémorables de la Seconde Guerre mondiale. « Pour le spectacle, la guerre aura fait de nous des enfants comblés », écrivait-il en 1980 dans une autobiographie romancée (dont le titre – Le temps me dure un peu – annonce le calvaire du lecteur face au nombril hypertrophié de l’auteur). C’est pendant ces années difficiles que l’auteur, né en 1927, passa vite de l’enfance à l’adolescence puis à l’âge adulte. Malgré la guerre et les privations, il se tailla un corps d’adulte et de bourreau des cœurs. « Quelques citations de Montherlant aidèrent à la métamorphose », précise-t-il.
Il y a trente ans, l’homosexualité de François Mauriac était soigneusement cachée à défaut d’être niée. Le microcosme parisien et bordelais n’en ignorait rien, mais, comme pour François Mitterrand et sa fille cachée Mazarine, nul ne le disait au grand jour. Alors qu’hier je ressortais Le temps me dure un peu de son rayonnage pour la première fois depuis trois décennies, le livre s’est ouvert aux pages 98-99 où il est écrit ceci :
« Je viens de retrouver une lettre de Mauriac vieille de trente années : “J’allais à vous pour m’amuser de votre jeune folie, comme des jeux d’un jeune chien… quand vous ne serez plus ce garçon un peu bizarre et fou, mais un homme mûr et vieillissant…” »
On imagine à quoi correspondent les points de suspension qu’a insérés Éric Ollivier. L’évocation de ce souvenir était aussi, à l’époque, une manière délicate d’outer François Mauriac sans en avoir l’air. La biographie de Mauriac par Jean-Luc Barré aura parachevé le travail en levant toute ambiguïté.
Pas sûr qu’Ollivier écrirait aujourd’hui, s’il vivait encore, ce paragraphe que j’extrais du même livre :
« Le goût profond que j’ai des garçons m’a toujours semblé inconciliable avec une vie de famille. Par moralité élémentaire. (Je suis amoral, mais j’ai un code.) On me dira que mes semblables font d’excellents pères de famille. Nombreuses en général : leurs femmes sont ainsi bien occupées, et ils peuvent courir. Mais je ne sais pas m’accommoder de ces hypocrisies. Mon travers implique une dissimulation (c’en est une des saveurs, et je n’aime pas le scandale) que je n’aurais pu pratiquer dans mon foyer. Je n’aime pas mentir à mes proches. Je me vois annonçant à ma femme : je ne rentre pas ce soir, je couche avec un danseur. Ou rassemblant mes enfants arrivés à l’âge adulte pour leur annoncer : vous êtes grands maintenant, je peux m’éloigner de votre mère pour partir avec un nègre. Je cite cette hypothèse car elle m’est inspirée par un fait réel. Je n’aurais pu acclimater mon travers à la comédie des masques qui passe pour aider à vivre en paix. Non que je sois prosélyte, mais par goût des situations nettes. Et puis, enclin si longtemps à la jalousie, j’aurais été blessé par les amours de mes enfants arrivés à l’âge qui me plaît. Ou je les aurais convoités, entrant ainsi dans une catégorie de malades, ce que j’aurais mal subi. […] je dois trop d’agréments à ma juvénomanie pour regretter de n’avoir pas préféré le jeu des compromis. »
Les temps ont bien changé en plus de trois décennies. Quel gay oserait aujourd’hui se décrire comme sujet à un « travers » ?
Alors que jamais un homme n’a été aussi libre de dire qu’il aime un homme, jamais non plus l’évocation de sa sexualité n’a été plus policée. Hier il ne fallait surtout pas s’écarter d’un cheveu de la norme hétérosexuelle. Et maintenant l’homosexualité entre peu à peu dans une norme à laquelle on ne doit déroger pas plus qu’avant. La simple évocation d’une « juvénomanie » vaudrait aujourd’hui à son auteur un embastillement sans billet de retour.
Philca / MensGo
(via ActuaLitté du 3 mars [Mauriac] et Ciné-files du 4 mars 2009 [Milk])