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(Blogmensgo, 17 août 2012) L’immoraliste ? J’ai relu ce roman d’André Gide l’hiver dernier. En version numérique gratuite et légale. C’est à ce même roman que Pierre Assouline consacrait, le 3 août 2012, un billet intéressant et documenté sur la passion qu’il suscite outre-Manche. Gide numérisé, gratuisé, outremanchisé ? Tel sera le prétexte – et le point de départ – pour compléter ma brève recension numérique de mai dernier.
L’article d’Assouline évoque la manière dont un groupe de lecture britannique s’empare de L’immoraliste. Lire son article pour en savoir plus. J’ai surtout noté la pertinence et la profondeur des questions que (se) posent les lecteurs britanniques. Ça change des dialogues entre internautes mononeuronaux sur certains blogs littéraires français.
(À noter aussi qu’une journée d’études sera consacrée à L’immoraliste le 2 novembre 2012… en Roumanie. Gide sera au centre d’un colloque, cette fois-ci à Cerisy-la-Salle, du 27 août au 3 septembre 2012.)
André Gide (fiche Wikipédia) est mort en 1951. Son œuvre – du moins les textes publiés de son vivant – tombera par conséquent dans le domaine public en 2022, soit soixante-dix ans après sa mort, en France et dans la plupart des pays européens et occidentaux. Mais pas au Canada, où les œuvres tombent dans le domaine public cinquante ans après la mort de l’auteur. Le site québécois Ebooks libres et gratuits, bien connu pour ses publications gratuites et d’excellente qualité, s’est fait un devoir de rendre accessibles les principales œuvres de Gide, par exemple, en version ePub, Paludes (que j’ai récemment lu avec jubilation) et L’immoraliste. Avec toutefois un oubli mineur (mais majeur au regard de mon sujet de prédilection, puisqu’il s’agit de Corydon) et un oubli majeur (Les faux-monnayeurs).
On peut se procurer en toute légalité les œuvres numérisées de Gide, mais aussi de Colette, Némirovsky et quelques autres, en allant au Canada. Les plus pressés ou fauchés opteront pour un simple voyage virtuel, moins légal mais plus rapide et moins onéreux. Pour savoir comment faire, il suffit de masquer son adresse IP en utilisant un proxy. Google et les forums spécialisés t’expliqueront comment faire, c’est à la portée d’un enfant de 10 ans. Inutile de poser la question ici, je n’y répondrai pas et poubelliserai tout commentaire posant une question sur le meilleur moyen de voyager virtuellement.
Quoi qu’il en soit, voici deux citations concernant directement la chose homosexuelle, extraites de L’immoraliste :
« Mais étais-je maître de choisir mon vouloir ? de décider de mon désir ? »
« Marceline [l’épouse du narrateur] entrevoyait bien ce que je m’acharnais à découvrir […] »
Autre œuvre tout aussi gratuite, mais cette fois-ci accessible légalement depuis l’Union européenne et produite par un auteur bien vivant. Ça s’appelle Pompier, c’est signé Rémi De Vos ou Rémi de Vos (les deux orthographes coexistent dans le même opuscule) et c’est offert par Actes Sud. Ou plus exactement, c’était offert en juillet 2012 (dixit l’éditeur), par exemple via Feedbooks ou via ePagine, mes deux librairies numériques préférées. On trouve encore la fiche signalétique chez Decitre, autre librairie numérique dont l’avantage est qu’elle vend aussi des livres papier (mon portefeuille, hélas, en sait quelque chose).
Résumons l’affaire. Le pitch : « Un homme avoue à sa femme qu'il a une aventure avec un pompier. » C’est très court (32 pages selon la version officielle), ça se lit très vite (en une demi-heure grand maximum), c’est parfois amusant, souvent imprévu, toujours bien mené. Le bon travail d’un bon faiseur. Jamais les mots homosexuel, homosexualité ou gay ne sont prononcés. Le mot pédé est en revanche prononcé plusieurs fois, dans un sens plus ou moins neutre. Bref, ça se lit – et s’oublie – vite et facilement. Mais là n’est pas l’essentiel.
Le problème, car problème il y a, réside dans les méthodes employées par l’éditeur. Des méthodes que je qualifierais d’intellectuellement déloyales et malhonnêtes, à défaut de l’être juridiquement. Qu’on en juge.
Primo, la prétendue « pièce offerte » n’est pas une pièce à part entière. Il est précisé dans le fichier que « ce texte fait partie d’une pièce inédite intitulée Trois ruptures », autrement dit il s’agit là d’un simple extrait.
Secundo, la mise en page est inachevée. Je ne parle pas là de la maquette atroce (d’aucuns l’apprécient… les goûts et les couleurs, hein) mais d’une typographie qui manque manifestement de « finitions » : les phrases ne se terminent que rarement par un signe de ponctuation. On doute que ce soit volontaire, appelons ça une négligence ou une faute de l’éditeur (ou de son stagiaire). Le lecteur espère que la version complète du texte sera un peu plus digne de commercialisation.
Tertio, l’extrait gratuit est proposé avec un simple tatouage (watermarking) alors que l’ensemble du catalogue numérique d’Actes Sud (y compris les œuvres théâtrales publiées par Actes Sud-Papiers) est assorti de verrous numériques autrement plus contraignants (les fameux DRM). Si l’on vend des bouquins avec DRM, alors les extraits gratuits de ces mêmes bouquins devraient eux aussi comporter des DRM, faute de quoi il y a tromperie sur la marchandise.
Je ne suis pas trop partisan d’une réglementation à outrance, mais si le législateur lit ce blog, qu’il y réfléchisse : il serait plus sain d’obliger les éditeurs commercialisant des livres avec DRM à mettre des DRM sur l’ensemble de leur production, y compris sur les extraits gratuits et les catalogues généraux ou thématiques. Les éditeurs auraient beau jeu de rétorquer qu’une telle contrainte diminuerait leurs ventes ; s’ils veulent vendre plus, ils n’ont qu’à déplomber leurs fichiers numériques puisqu’un simple et discret tatouage suffit amplement pour en restreindre la diffusion.
Quarto, l’éditeur commercialise ses livres numériques presque au même prix que ses livres papier. Prenons l’exemple du Ravissement d’Adèle, autre pièce de Rémi de Vos : ça coûte 16,30 euros en version papier et 12,99 euros en version ePub, alors même que les coûts de réalisation d’une version numérique sont très largement inférieurs à ceux d’une édition papier. Au moins l’éditeur pourrait-il inclure dans son fichier deux ou trois anciennes pièces du même auteur, afin de justifier un prix deux fois supérieur à celui d’une pièce de théâtre en format livre de poche. Mais non, il est plus urgent pour l’éditeur de rentabiliser sa licence Adobe (qui fournit les DRM à prix d’or) et de faire fuir le client potentiel à coup de matraque tarifaire.
Bref, l’idée d’un teaser en forme de fichier gratuit était séduisante, mais Actes Sud serait bien inspiré de faire un effort plus méritoire.
Quoi qu’il en soit, le numérique me semble être propice à une nouvelle diffusion de textes anciens et à une diffusion plus large de textes et d’auteurs contemporains. Le présent blog, je crois, ne dévierait sans doute pas de ses missions en s’en faisant le promoteur ou le vecteur.
Mais à plusieurs conditions. D’abord et avant tout, que l’on ne tente pas de bâillonner mon sens critique, même si j’ai la langue fourchue. Ensuite, que l’on (auteur, éditeur, attaché de presse ou community manager) fournisse un contenu original : donc aucun copier-coller de la quatrième de couverture (je ne verse pas dans ce que les référenceurs nomment duplicate content), obligation d’un rapport direct avec des thématiques liées à l’homosexualité et, si possible, un contenu rédactionnel soluble dans l’humour et l’originalité.
Si ces conditions limitatives et cumulatives sont remplies, je veux bien me charger de publier les communiqués spécialement conçus pour ce blog.
(Sous réserve que Claude-André soit d’accord, mais il sera d’accord.)
Le soleil ayant eu aujourd’hui beaucoup trop de rayons, j’abrège ici cet article et lui donnerai une suite lundi. Car suite il y aura.
Philca / MensGo