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(Blogmensgo, 16 septembre 2012) Retour sur l’affaire Millet, que j’avais évoquée dans la péroraison de mon article du 3 septembre 2012. Une des réactions, dans le cadre de cette affaire, a engendré l’un des plus beaux textes qu’il m’ait été donné de lire sur le Web. Ça parle de Millet, de littérature, mais aussi d’homosexualité. Ce texte indispensable émane de Pierre Jourde.
Résumons d’abord cette « affaire Millet ». L’écrivain français Richard Millet a récemment déclenché la polémique en publiant son opuscule Éloge littéraire d’Anders Breivik, où le tueur en série norvégien apparaît plutôt comme le porte-étendard d’une nouvelle vertu que comme un irrécupérable salopard siphonné. Parmi les innombrables boucliers qui se sont levés, celui de l’écrivaine Annie Ernaux a été publié par Le Monde du 10 septembre 2012 et aussitôt cosigné par des dizaines d’écrivains, dont Arno Bertina, François Bon, Chloé Delaume, JMG Le Clézio et Abdellah Taïa – pour ne citer que quelques-uns de ceux que j’apprécie plus que d’autres.
L’écrivain et critique Pierre Jourde n’a pas signé ce libelle. Et il motive son choix, dans un long texte dont le titre falot, « Pourquoi je n’aurais pas signé le texte d’Annie Ernaux », cache un contenu flamboyant.
Pierre Jourde est l’auteur de l’inoubliable pamphlet La littérature sans estomac (quiconque s’intéresse à la littérature contemporaine se doit de le lire, malgré les outrances de Jourde ; j’ai scanné la première de couverture pour illustrer cet article). Jourde a aussi enfanté « deux fils aînés [qui] sont ce qu’on appellerait aux États-Unis colored ». Deux rejetons métis qui se font régulièrement traiter de bougnoules ou de bamboulas, dans la rue ou ailleurs. Des Noirs comme Millet ne les aime pas, au prétexte qu’ils ne seraient pas de souche française malgré leur pedigree 50 % auvergnat voire 87,5 % français.
On le sait, Millet milite pour la pureté du sang et des mœurs. Millet se veut un parangon de pureté française, franco-française et même plus. Millet se proclame généralissime de l’hétérosexualité et combat tout ce qui diverge. Et justement, Jourde parle aussi d’homosexualité dans son texte, en évoquant l’anecdote que je reproduis ci-dessous :
« L’an dernier, mon fils aîné, le sale bougnoule, donc, se promenait sur les Champs-Élysées avec un ami très visiblement homosexuel. Ils se sont fait agresser par un groupe de racailles qui voulaient casser de l’homosexuel. Admirez la cocasserie de la chose : un “noir” se battant avec [contre, NDLR] des “jeunes issus de l’immigration” pour défendre un homosexuel. Zut alors. La situation n’est pas pure. Où est le Bien ? D’où vient que ces racailles voulaient la peau d’un pédé ? Est-ce qu’il faut faire l’impasse sur la dimension culturelle de la chose ? Est-ce que mon fils était raciste en cognant des jeunes “issus de l’immigration” ? Est-ce que l’immigration massive de personnes venant de pays où l’imprégnation religieuse est très forte ne pose aucune espèce de problème à la laïcité, et par là à la liberté ? »
[Pour les lecteurs peu familiers de l’actualité française, je signale que le mot « racaille » fait écho au même mot employé par l’ex-président Sarkozy pour désigner les jeunes trublions de banlieue dont le certificat de naissance n’a peut-être pas été délivré en France.]Le texte de Jourde procède tout entier d’une même noblesse des sentiments, d’une même finesse de l’analyse, d’une même qualité de l’expression. Jourde y parle d’homosexualité, comme ci-dessus, mais pas que. J’appelle tous les pédés, toutes les gouines, tous les travelos, les bougnoules, les bamboulas, les placardisés, les atypiques, les libres-penseurs, les stigmatisés, les ostracisés, les rejetés et les exclus à lire le texte de Pierre Jourde et à le diffuser partout, jusques et y compris chez ce brave Richard Millet, dont l’esprit fuligineux – mais pas que – aurait besoin d’être ramoné.
Commentaire. Un dernier mot sur l’affaire Millet proprement dite. Tous les appels à la censure, à la démission, à l’opprobre… sont contre-productifs. Ils offrent une publicité gratuite aux miasmes d’une pensée qui n’en demandait pas tant. Ils engoncent le sulfureux auteur dans les guenilles de sa pose complotiste et renforcent d’autant son délire paranoïaque. L’attitude la plus productive eût été de dresser un mur de silence. Imagine-t-on un piéton ramasser un étron pour fustiger sa crottitude ?
Un libraire (flemme de retrouver son nom) a cru bon de censurer le pamphlet de Millet et de le faire savoir. De deux choses l’une, soit ce libraire a voulu se faire de la pub à bon compte, soit ce libraire est naïf. Il a juste renforcé Millet dans sa posture doloriste.
Censurer un bouquin ? Même pour le pamphlet antisémite de Jouhandeau (oui, Jouhandeau a publié un opuscule violemment antisémite), même pour les vomissures de Céline, même pour le livre brun de Hitler ou le livre rouge de Mao, j’estime que la censure est contre-productive (en plus d’être imbécile). Moi, à la place du libraire (c’est un ancien libraire qui parle), soit j’aurais retourné l’office au diffuseur, soit j’aurais stocké le brûlot à l’abri des regards. Sans en faire des tonnes.
Philca / MensGo