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(Blogmensgo, 19 novembre 2012) Des dizaines de milliers de personnes, peut-être cent mille selon certaines sources, ont défilé dans les villes de France le week-end des 17 et 18 novembre 2012 afin de réclamer l’abandon du projet de loi sur le « mariage pour tous ». Inutile de raconter le détail des manifestations, toute la presse en parle. Je me bornerai à une question, deux remarques, deux lectures et deux citations.
Tous ces braves militants qui défilaient juraient, la main sur le cœur, n’être pas homophobes. Ils affirment que l’homosexualité n’égale pas l’hétérosexualité, mais ils ne sont pas homophobes.
La question mérite d’être posée. Sont-ils homophobes ? La réponse est non. Non, ils ne sont pas homophobes. Pas plus que n’étaient racistes les Afrikaners qui défilaient contre l’abandon de l’apartheid. Pas plus que ne sont racistes les prétendus supporteurs du Paris-Saint-Germain qui lancent des bananes aux joueurs à peau noire. Pas plus que n’étaient misogynes ces hommes qui manifestaient contre l’idée d’accorder le droit de vote aux femmes.
Les médias ont abondamment couvert les manifestations pas-homophobes-du-tout et complaisamment relayé les griefs de cette France-pas-rance. Ces mêmes médias, trop occupés à surveiller leur sens de la mesure et de l’éthique, ont omis de mettre l’accent sur deux composantes notables des manifestations.
Le fameux « argument » des enfants est simple : un enfant, donc un père et une mère. Simple comme un raisonnement d’enfant. Donc simpliste.
Alors ils ont amené leurs enfants. Des enfants capables de comprendre cette « logique » à matrice binaire, mais incapable de comprendre pourquoi cette logique est bidon. Et plus encore inaptes à comprendre, ces enfants, qu’ils sont manipulés, caporalisés, instrumentalisés, mis au service d’une logique de haine et non d’amour.
Ils ont amené leurs enfants le week-end. En semaine, ces braves parents pestent contre l’utilisation abusive des enfants dans les publicités à la télévision, à la radio, en presse écrite. Mais puisque c’est « pour la bonne cause » et qu’eux seuls en sont dépositaires, alors il fallait amener les enfants. Ces mêmes enfants que l’Église catholique baptise avant même qu’ils ne sachent parler, sans leur demander leur avis, sans se préoccuper de ce qu’ils pensent et de ce à quoi ils croient. Simplisme de merde. Parents de merde. Homophobie de merde.
En tête de cortège, des élus. Reconnaissable à leur écharpe tricolore. Des élus du bon peuple, qui se battent contre le mariage homosexuel, qui refuseront de marier des pédés et des gouines car ces gens-là ne sont pas tout à fait des gens, ce sont des sous-gens tout juste bons à voter, à payer des impôts et à se taire.
Ce qui me choque, ce sont les écharpes. Les écharpes tricolores attestent que ces braves élus représentent les citoyennes et les citoyens, fussent-ils pédés ou gouines, qui les ont élus. Ces mêmes élus sont venus à Paris « en représentation » qui de sa région, qui de son département, qui de sa ville, qui de son village. Aux frais du contribuable dans la plupart des cas.
Avec l’aval de leurs administrés ? Voire. Pour quelques-uns, l’opération sera synonyme de pêche (électorale) miraculeuse. J’espère que les autres se prendront le râteau électoral qu’ils méritent.
Les manifs des pas-homophobes-du-tout auront eu au moins un double effet positif. Celui de faire redécouvrir Virginie Despentes (pas trop mon genre littéraire, mais personnalité que j’apprécie ô combien) et celui de faire découvrir Marc Jahjah, jeune thésard inconnu du public. À travers deux textes aussi passionnants qu’ils sont kilométriques.
Virginie Despentes a publié une tribune sur le site de Têtu. Le 12 novembre 2012, donc avant les manifestations de ce week-end. Il n’y a pas péremption pour autant.
La tribune de l’écrivaine, qui vit en couple avec une femme depuis huit ans, entendait répondre aux propos de l’ancien ministre socialiste Lionel Jospin, qui se dit peu favorable au mariage homosexuel. Le texte de Virginie Despentes a été vu plus de 300 000 fois en une semaine. Oui, trois cent mille fois !
Inutile de résumer un texte aussi inrésumable. Disons que la philippique de Virginie atteint Lionel là où il sécrète son jus de non-homophobie. Avec des formules chocs (« depuis que je ne suce plus de bite »), mais aussi et surtout avec de vrais arguments contre la banalisation d’un discours qui, sous couvert de bon sens et de débat citoyen, n’est rien d’autre qu’un appel à la discrimination. Même si Jospin n’est plus qu’un has-been de la politique, la parole de Virginie Despentes a valeur universelle en ce qu’elle stigmatise la connerie ordinaire.
« Les homos, la filiation et la mort ». Le titre de cette tribune est éminemment trompeur. Car Marc Jahjah y retrace la genèse non pas de l’homosexualité, mais de l’homophobie. Ou plus exactement de la rhétorique homophobe.
Je me permets de reproduire l’incipit de ce long texte :
« Les récents “débats” (légitimes mais pour la plupart nauséabonds) sur l’homosexualité et le mariage “pour tous” auront (au moins…) permis de mettre au jour un imaginaire collectif et une crainte originelle qui affleurent dans une série de confusions et de termes accolés, censés révéler le “vrai débat”. Nous sommes donc passés du mariage à l’adoption, de l’adoption à la filiation, de la filiation à la reproduction, de la reproduction à la survie (de l’espèce). »
Le reste est du même tonneau : brillantissime. Marc Jahjah s’y fait à la fois anthropologue, ethnologue, sociologue et philologue, traquant un discours et son soubassement idéologique pour mieux en illustrer les contours et la substance. Une odyssée savante et implicitement narquoise, une prose érudite et matoise. Le texte d’un universitaire qui ressemble à tout sauf à une logorrhée de professeur.
Pour les ceusses qui ne connaîtraient pas Marc Jahjah, disons en résumé que ce jeune polyglotte prépare une thèse sur l’annotation des lectures en général, dans l’univers numérique en particulier. Son blog SoBookOnline est en ligne depuis deux ans [n’est plus en ligne et il nous manque ; remplacé, mais d’une manière plus épisodique, par son blog Marginalia]. Plus récemment, il a ouvert une page Facebook [qui n’est plus alimentée] où il expose une partie de sa veille réticulaire sur les thématiques liées à l’univers numérique, en particulier la lecture et l’annotation.
[Update du 20 novembre 2011. Lire aussi cette formidable interview de l’anthropologue Maurice Godelier. Nul doute que la proportion d’homophobes chuterait spectaculairement si chacun lisait ce texte avant de raconter n’importe quoi. 😉 ]
Oscar Wilde et Marcel Proust étaient pédés et n’en demeurent pas moins d’immenses écrivains, n’en déplaise aux pas-homophobes-du-tout. Et s’ils avaient commenté les événements du week-end dernier ? Fastoche. La preuve ci-dessous.
Nul doute que le grand écrivain irlandais eût comparé à une chasse à courre le combat des pas-homophobes-du-tout contre le mariage gay.
« The unspeakable in pursuit of the unexpectant. »
(Citation apocryphe d’Oscar Wilde en forme de calembour intraduisible, forgée d’après sa formule « The unspeakable in pursuit of the uneatable » [l’innommable à la poursuite de l’immangeable] dénonçant la chasse à courre.)
Dans Le côté de Guermantes, Marcel Proust écrit ceci.
« De très bons esprits ont cru qu’une république ne pourrait avoir de diplomatie et d’alliances, et que la classe paysanne ne supporterait pas la séparation de l’Église et de l’État. »
Il suffit de remplacer d’une part la diplomatie et les alliances par le mariage gay et l’adoption homoparentale, d’autre part la classe paysanne par la classe populaire (qui affectionne les raisonnements simplistes), pour obtenir un résumé du week-end dernier… et des mois à venir.
Philca / MensGo