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(Blogmensgo, 10 avril 2013) Deux députés de l’UMP (droite), Hervé Mariton et Laurent Wauquiez, fulminent contre le Petit Larousse dont l’édition 2014 donne du mariage une définition friendly. Le second crie au scandale, le premier appelle au boycott. Les deux hommes sont farouchement opposés au mariage homosexuel.
L’édition 2014 du Petit Larousse sortira en juin 2013 en définissant le mariage par un « acte solennel par lequel deux personnes de sexe différent, ou de même sexe, établissent entre eux une union dont les conditions, les effets et la dissolution sont régis par les dispositions juridiques en vigueur dans leur pays ».
[La citation, telle que transcrite par les deux articles qui me servent de source, est grammaticalement fautive car personnes implique l’accord de l’adjectif au féminin pluriel quelles que soient les personnes concernées.]
Le Petit Larousse 2013 (publié en juin 2012), que j’ai sous les yeux, définissait le mariage comme un « acte solennel par lequel un homme et une femme établissent entre eux une union dont les conditions, les effets et la dissolution sont régis par les dispositions juridiques en vigueur dans leur pays (en France, par le Code civil), par les lois religieuses ou par la coutume ; union ainsi établie ». Il était précisé ceci, en toute fin d’article : « Mariage homosexuel, union de deux personnes de même sexe. »
Dans son édition en ligne, Larousse donne déjà cette définition du mariage (URL peut-être provisoire) :
« Acte solennel par lequel un homme et une femme (ou, dans certains pays, deux personnes de même sexe) établissent entre eux une union dont les conditions, les effets et la dissolution sont régis par le Code civil (mariage civil) ou par les lois religieuses (mariage religieux) ; union ainsi établie. »
Le 9 avril, Hervé Mariton appelait au « boycott » de « Larousse [qui] vient de décider d’anticiper sur le vote ou l’échec du projet de loi sur l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe en incluant dès maintenant cet hypothétique changement dans la prochaine édition de son dictionnaire ». Au même moment, le Sénat validait le premier article du projet de loi sur le « mariage pour tous ».
Le 10 avril, Laurent Wauquiez livrait son sentiment : « Je suis parlementaire, j’ai un minimum de croyance dans le job que je fais, je trouve pas normal que le Larousse s’assoie dessus […], j’aime pas bien qu’un dictionnaire considère que tout ça ne compte pour rien ».
Pour mémoire, le mariage tel que défini en 2011 par la dernière édition du Dictionnaire de l’Académie française ne fait pas référence aux unions homosexuelles et la prestigieuse institution a pour principe actuel de ne jamais modifier dans sa version en ligne les définitions de sa version papier.
[Ci-dessous, mon commentaire.]Évacuons d’emblée un épiphénomène. Le normalien Laurent Wauquiez ne fait pas honneur à la langue française ni à l’École normale supérieure en usant d’une syntaxe avachie. Et le polytechnicien Hervé Mariton donne, par son amphigouri administrativo-militant, l’image d’un homme très miné.
L’argumentation commune à Mariton et Wauquier revient à dire que les dictionnaires doivent conformer leurs définitions aux lois du Parlement. Que n’ont-ils donc pas voué aux gémonies la maison Dictionnaires Le Robert ! Car dans mon édition électronique du Petit Robert 2011, le mariage est défini comme une « union légitime de deux personnes dans les conditions prévues par la loi ». Alors que le Grand Robert évoquait il y a une décennie une « union légitime d’un homme et d’une femme » (la deuxième édition en version électronique, datée 2009, correspond me semble-t-il à l’édition papier de 2001 que j’ai revendue et n’ai donc plus à portée de main).
De fait, les dictionnaires n’ont pas vocation à tirer leurs définitions du Parlement, de quelque nationalité qu’il soit. De même le Parlement ne peut-il imposer l’usage d’un mot ou d’une expression qu’aux administrations, personnels et documents œuvrant par délégation de l’autorité publique. C’est ainsi que les administrés et les entreprises privées n’ont pas à employer la « terminologie officielle » que les fonctionnaires sont tenus d’utiliser dans le cadre de leurs attributions.
Peut-être Mariton et Wauquiez, parlementaires donc fins connaisseurs des arcanes administratifs, ne le savaient-ils pas. S’ils ignorent un précepte aussi élémentaire, on peut présumer que ces deux brillants cerveaux sont incompétents ou de mauvaise foi.
Notons en outre que Larousse et Le Robert publient des dictionnaires de langue française, et non point des dictionnaires dont le lexique se borne à la doulce France. Langue française ? Celle(s) de Belgique, de Suisse, du Québec, de l’Afrique et de l’Océanie, que le Parlement français n’a nul mandat de réguler. Celle de France aussi, en métropole comme dans les départements et territoires français hors Hexagone, que les collègues de Mariton et Wauquiez n’ont pas plus vocation à réglementer, hors cas de la langue administrative susmentionnée.
Les deux chantres – qu’une coquille m’a dans un premier temps fait écrire chancres – d’un mariage interdit aux pédégouines ignorent sans doute aussi les différences significatives entre dictionnaires, eu égard aux choix philologiques et éditoriaux spécifiques de leurs concepteurs. Même le très normal(ien) Wauquiez semble ou le méconnaître ou faire semblant de l’ignorer, en supposant qu’il a la compétence pour ne le méconnaître qu’en connaissance de cause.
Donc, disais-je, c’est toute la différence entre un dictionnaire aussi normatif ou prescriptif que le Petit Larousse et un dictionnaire aussi descriptif que le Petit Robert. Le choix du corpus contribue à entretenir cette différence, le Petit Robert empruntant volontiers aux sources écrites et orales les plus populaires. Si les deux cadors de la lexicographie ont mitigé leurs conceptions respectives au fil des décennies, il semble que le puîné ait souvent des années d’avance sur son aîné en matière d’enregistrement des évolutions sociétales.
Tout cela pour dire que le plaidoyer d’Hervé Mariton et celui de Laurent Wauquiez, faute d’arguments valables et de bonne foi, ont tendance à emprunter leurs couplets au registre de la farce la plus grossière et leurs refrains au répertoire de la détestation la plus abjecte.
Philca / MensGo
(via NouvelObs.com et Le Monde du 9 avril 2013)