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C’est après son assassinat sur l’avenue des Champs-Élysées à Paris, le 20 avril 2017, que les médias ont pour la première fois évoqué le nom de Xavier Jugelé. Le jeune policier de 37 ans, a-t-on appris par la suite, était gay, militant LGBT, en couple avec Étienne Cardiles. Il aimait la vie, adorait son métier et avait pour principal défaut d’idolâtrer Céline Dion. Hasard du calendrier, une loge maçonnique étudiait sa candidature pour devenir franc-maçon le jour même de son assassinat.
Les choses auraient pu en rester là. Discours ministériel et présidentiel, cérémonie d’hommage, inhumation officielle, décoration à titre posthume. Sauf que le discours officiel a été tenu, devant des micros et caméra, devant des policiers et gendarmes au garde-à-vous, devant une foule de célébrités et d’anonymes, devant le ban et l’arrière-ban de la classe politique, devant le chef de l’État, devant des millions de téléspectateurs, en direct, par Étienne Cardiles. Par son compagnon, aujourd’hui veuf.
L’hommage d’Étienne Cardiles à son défunt compagnon, Xavier Jugelé.
Le fait divers a changé de statut. De fait divers, il est devenu fait de société.
Étienne Cardiles aurait fort bien pu être cantonné à un rôle de second plan, de fantoche et peut-être même de guignol. Il n’en a pas été ainsi, bien au contraire. Le compagnon du défunt a presque « volé la vedette » aux ténors des médias et de la politique. Avec leur accord tacite et parfois même avec leur soutien actif.
Ce fut peut-être l’ultime – et tardive – action d’envergure présidentielle menée par François Hollande. Son mandat a commencé en 2012 par l’ouverture du mariage aux couples homosexuels, il s’achève en 2017 par l’oraison funèbre et l’hommage posthume d’un gay à son compagnon mort en servant son pays.
Étienne Cardiles a su capter la lumière et l’intérêt des médias. Il a fait une allusion indirecte à la tuerie du Bataclan (« Vous n’aurez pas ma haine ! ») en restant digne, mesuré dans ses propos, sincère et pourtant d’une capacité de conviction que nul n’a cherché à contredire ni à minimiser.
Son discours d’adieu à Xavier Jugelé est l’un des plus beaux, des plus émouvants qu’il m’ait été donné d’entendre. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer avec attention les policiers ou gendarmes (peu importe à mes yeux le type d’uniforme) en arrière-plan et les voir tenter de réprimer un sanglot ou une crise de larmes.
Le fait divers est devenu fait de société, parce la hiérarchie politique et policière a accepté – et même voulu – qu’il en fût ainsi.
Ci-dessous, un très bref aperçu des obsèques de Xavier Jugelé, le 25 avril 2017. Près de 300 personnes avaient bravé la pluie pour rendre hommage au jeune policier mort en service.
Pas une seule voix discordante parmi les ténors politiques. Même les homophobes notoires se sont abstenus de tout propos désobligeant. Certains imbéciles ont cru bon proférer des insultes sur les réseaux sociaux, mais le ministre de l’Intérieur a aussitôt fait savoir qu’il diligenterait des poursuites contre ces gros connards.
Aucun des deux candidats à la magistrature suprême n’a tenté – contrairement à ses habitudes sur d’autres sujets immédiats – d’instrumentaliser en sa faveur le deuil de la nation et l’hommage solennel rendu à un policier gay.
La candidate Marine Le Pen est restée coite, malgré sa faible estime pour le mariage entre personnes de même sexe. Il est piquant que l’hommage le plus significatif soit venu du candidat Emmanuel Macron, qu’une rumeur avait tenté de faire passer pour un homosexuel vivant une passion secrète avec un homme en vue.
Cette rumeur « contre » Macron relevait du fait divers. Là aussi, le fait divers est devenu fait de société. Une « accusation » d’homosexualité eût défait n’importe quelle candidature au plus haut poste de l’État, il y a ne serait-ce que trois décennies. Aujourd’hui, la rumeur n’a engendré qu’un haussement d’épaules. On notera quand même que la maman du petit Emmanuel a été bien chagrinée par cette rumeur, preuve s’il en était besoin que le chemin à parcourir jusqu’à vers la décrispation des mentalités reste encore long – et mal pavé.
Même les égéries de la Manif pour tous, reconverties en groupuscule politique sous le nom de Sens commun, ont brillé par leur silence. Silence commun.
Le fait divers de la manif homophobe avait cru s’ériger en fait de société. Le verdict des urnes a redonné la dimension qu’il mérite à ce prétendu fait de société : une dimension aussi fugace que celle d’un prout – un prout inélégant et trop sonore.
Sens commun a ostensiblement milité pour un candidat très peu homophile dont la candidature s’est fracassée contre un mur de bon sens républicain. L’ex-candidat est en état de mort politique. Le groupuscule qui l’a soutenu est en été de mort politique – mais pas de mort cérébrale, car cela présuppose un cerveau dont l’existence reste à prouver.
Xavier Jugelé a été assassiné moins d’un mois avant la Journée internationale de lutte contre l’homophobie, c’est-à-dire moins d’un mois avant la journée du 17 Mai. En France, la presse écrite évoque volontiers le sujet, les médias audiovisuels en parlent à travers un ou deux reportages (on appelle cela un marronnier en jargon journalistique) et des chaînes TV à l’audience plus ou moins confidentielle (en particulier Numéro 23) profitent de l’occasion pour adapter leur programmation du jour, et puis c’est tout.
Cette année, c’est différent. La chaîne publique France 2 évoquera l’homosexualité – et l’homophobie – tout au long de la journée, en bouleversant sa programmation, dont le point d’orgue sera une soirée spéciale aux heures de grande écoute. En première partie de soirée, le film Baisers cachés de Didier Bivel (avec l’acteur Patrick Timsit, qui aura montré de vrais talents d’activiste lors de la promotion du film), suivi d’un débat en deuxième partie de soirée. Et en dernière partie de soirée, Les Invisibles, documentaire multiprimé de Sébastien Lifshitz.
L’homophobie relève le plus souvent du fait divers. Sa prise en compte à une heure de grande écoute par la plus grande chaîne de télévision du service public français ne relève plus du fait divers, mais du fait de société.
Ce texte trop long peut tout aussi bien se résumer en trois mots, que j’adresse à Xavier Jugelé :
Adieu et merci !
Le 30 mai 2017, donc à titre posthume, le policier Xavier Jugelé a épousé son compagnon Étienne Cardiles, avec qui il était déjà pacsé. Le mariage a été célébré dans la mairie du XIVe arrondissement de Paris, en présence d’Anne Hidalgo, maire de Paris, et de François Hollande, ancien président de la République.
Emmanuel Macron n’était pas présent, mais c’est lui qui a signé le décret présidentiel autorisant le mariage de Xavier avec Étienne. Auparavant, le nouveau chef de l’État avait invité Étienne au palais de l’Élysée pour la cérémonie de son entrée en fonctions.
Ci-dessous, une vidéo – en français avec sous-titres français – relatant ce mariage posthume. On peut désactiver le son, car le texte prononcé par un robot instille un humour déplacé quoique involontaire.
C’est la première fois, à ma connaissance, qu’un mariage LGBT est prononcé à titre posthume en France. Il est de coutume, dans certains cas exceptionnels, qu’un veuf ou une veuve obtienne la reconnaissance d’un statut spécifique, par exemple un mariage (article 171 du code civil), une naturalisation ou encore un lien de filiation pour un enfant à naître, déjà né ou non encore conçu.
Des avantages de cette nature ne sont consentis par la France que si le défunt a trouvé la mort dans l’exercice d’une fonction de service public (policier, gendarme, pompier, juge, militaire), dans un cas de force majeure absolue (attentat, guerre, catastrophe naturelle, prise d’otages) ou s’il a fait preuve d’un héroïsme peu commun.
Le mariage gay n’étant légal en France que depuis 2013, c’est seulement depuis cette année-là qu’un mariage LGBT est susceptible d’être prononcé à titre posthume. Gay ou hétéro, le défunt doit avoir manifesté sans aucune ambiguïté une intention de mariage et le survivant est tenu d’en apporter la preuve.
Philca / MensGo