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Angels in America (se fait voler la) vedette des Tony Awards 2018

(Blogmensgo, blog gay du 14 juin 2018) La 72e cérémonie des Tony Awards, qui honorait l’industrie théâtrale et musicale de Broadway, le 10 juin 2018, aura été marquante pour de multiples raisons. Car tout d’abord la pièce de Tony Kushner, Angels in America, malgré ses nominations la même année – un record absolu pour une pièce de théâtre aux Tony Awards –, n’a obtenu finalement que trois statuettes. Mais aussi parce que Robert De Niro a improvisé sur scène un tonitruant « Fuck Trump! » dont la chaîne CBS – qui diffusait l’événement en direct – s’est empressée de caviarder le premier mot.

Angels in America a obtenu, sous la direction de Marianne Elliott, le Tony Award de la meilleure reprise d’une pièce. Cette récompense est d’autant plus méritoire que contrairement à la plupart des autres catégories, celle consacrée à la meilleure reprise théâtrale mettait en confrontation pas moins de cinq pièces, dont quatre œuvres écrites par de véritables monstres sacrés : Tony Kushner, Edward Albee (pour Three Tall Women, que je vais lire dès ce soir, tiens), Eugene O’Neill et Tom Stoppard.

Tony Kushner
Tony Kushner et l'équipe d'Angels in America ©Theo Wargo / Getty Images

Le dramaturge Tony Kushner avait mis trois ans pour écrire son chef-d’œuvre il y a plus d’un quart de siècle. La pièce avait été produite en deux volets, Millenium Approaches et Perestroika, interprétés en première mondiale à un an d’intervalle, respectivement en 1991 et en 1992. Tony Kushner effectua quelques modifications sur les deux parties, dont la version définitive complète dure près de sept heures trente, voire huit heures trente en comptant les entractes.

La reprise d’Angels in America a d’abord conquis le National Theatre de Londres avant d’embraser le Neil Simon Theatre de New York depuis la mi-mars et jusqu’au 15 juillet 2018. Elle avait déjà obtenu, cette année, plusieurs autres prix de la meilleure pièce de théâtre en reprise.

Nathan Lane
Nathan Lane obtient le troisième Tony de sa carrière, cette fois-ci pour son incarnation de Roy Cohn. ©Kevin Mazur / Getty Images

Dans la pièce originale comme dans sa reprise, tous les personnages sont fictifs sauf un : l’avocat Roy M. Cohn, anticommuniste et homophobe notoire, mais aussi homosexuel et mort en 1986 d’un sida qu’il avait officiellement déguisé en cancer du foie. Nathan Lane, qui incarne Roy Cohn, a d’ailleurs obtenu pour cette interprétation un Tony Award du meilleur second rôle masculin dans une pièce.

L’autre grand vainqueur dans la catégorie acteur masculin, cette fois-ci pour le meilleur premier rôle, est Andrew Garfield, l’interprète de Prior Walter, là aussi un personnage gay et sidéen, mais qui assume son homosexualité contrairement à Roy Cohn.

Andrew Garfield
Andrew Garfield, grand cœur et nœud papillon… ©Theo Wargo / Getty Images

En recevant son prix, Andrew Garfield a d’emblée rendu hommage aux « personnes LGBTQ qui ont combattu et qui sont mortes ». Puis, comme on le voit ci-dessous…

… Andrew Garfield s’est emparé de l’actualité juridico-boulangère :

Let’s just bake a cake for everyone who wants a cake to be baked!

La phrase d’Andrew a le piquant du slogan (et de l’allitération et du chiasme, ajouteront les rhétoriciens). Elle possède aussi du slogan, selon moi, la naïveté voire le simplisme. Imagine-t-on que des gays ou des lesbiennes veuillent absolument passer commande d’un gâteau de mariage à un pâtissier qui affiche son homophobie jusque dans sa manière de (ne pas) servir la clientèle ? Soit c’est de l’aveuglement psychorigide (moâ, je tiens à mes principes et je le montre), soit c’est du militantisme contre-productif (mieux vaut promouvoir les pâtissiers friendly que tenter de convertir le plus crétin des pâtissiers).
[En évoquant la cérémonie des Tony Awards, sous la plume de Steven Zeitchik, le Washington Post livre un commentaire éclairé sur les diverses manières de (ne pas) militer publiquement pour/contre une cause ou une idéologie.]

Pour en revenir à une interview enregistrée dans les coulisses avant la proclamation des résultats, Andrew Garfield a déclaré que selon lui, Angels in America est la plus grande pièce du répertoire (j’y reviendrai ci-après). Puis il a comparé la metteuse en scène Marianne Elliot en « Mother Earth », autrement dit en Gaïa – la déesse aussi appelée Gê, ce qui en français et dans d’autres langues se prononce tout simplement gay. Voici donc le début et la suite de cette interview, où Andrew est interrogé en compagnie de l’actrice britannique Carey Mulligan :

La pièce n’aura pas transformé en statuettes ses huit autres nominations, dont une pour la meilleure mise en scène (Marianne Elliott) et deux pour la meilleure actrice dans un second rôle (Denise Gough et Susan Brown). Denise Gough figurait pourtant en tête des pronostics. Les cinq autres nominations d’Angels in America correspondent à des prix techniques.

Puisque tout avait été dit avant lui, Tony Kushner s’est contenté de souhaiter un bon anniversaire à une icône gay par excellence : Judy Garland, née un 10 juin et trop tôt disparue.

C’est donc la brève allocution de Robert De Niro qui a retenu l’attention – quasi exclusive – des médias et des réseaux sociaux. Par deux fois, l’acteur et réalisateur a dit « Fuck Trump! ». Et par deux fois, comme on l’entend ci-dessous, un bip a remplacé le premier mot.

Sur YouTube, les extraits de la cérémonie reprenant le signal de CBS ont bien évidemment repris deux fois le bip inséré par le diffuseur officiel de la soirée. Seules des sources extérieures à CBS ayant capté le discours ont pu le rediffuser dans sa version non tronquée, comme ici :

Error: Invalid URL!

Tout le monde a qualifié cela de censure, mais il s’agissait aussi – et surtout – pour la chaîne CBS d’une obligation légale. Aux États-Unis, interdiction est faite aux chaînes dont le signal est repris en clair et gratuitement de diffuser des jurons ou des images de nudité. C’est pourquoi les directs ne sont pas toujours diffusés en direct absolu. Dans le cas de CBS, un décalage de sept secondes entre le tournage et sa retransmission laissait le temps à un employé de CBS de biper toutes les obscénités des participants.

On se souvient du ridicule bout de téton de Janet Jackson, dont l’apparition malencontreuse avait valu au diffuseur TV une amende colossale. CBS risquait financièrement un peu moins en ne caviardant pas le « Fuck Trump! » de De Niro, mais quand même. Il est donc faux de prétendre que CBS a censuré l’allocution de De Niro, puisque c’était une obligation légale. Il est tout aussi faux de dire que YouTube a censuré ce même discours, puisque la plateforme de vidéos se contente de diffuser sans modification les vidéos qui lui sont transmises.

American Theatre
Un ange à la une d'American Theatre en mars 2018. ©americantheatre.org

Revenons-en à l’importance de la pièce Angels in America. Contrairement à l’idée que l’on pourrait s’en faire depuis l’Europe continentale (donc hors Grande-Bretagne), la pièce de Tony Kushner a eu un incroyable retentissement dans le monde anglophone en général et aux États-Unis en particulier, tant chez les hétéros que chez les gays.

Rappelons que la version initiale de la pièce avait obtenu à l’époque la bagatelle de sept Tony Awards (dont celui de la meilleure pièce de théâtre pour chacune des deux parties), plus le prix Pulitzer de la meilleure pièce, plus d’innombrables récompenses professionnelles aux États-Unis et ailleurs.

Il n’est donc pas étonnant que le grand magazine spécialisé de la profession, American Theatre, ait consacré dans son numéro de mars 2018 sa une et tout un dossier à la reprise de cette pièce emblématique.

Angels in America résulte d’une commande à Tony Kushner par deux directeurs de théâtre, dont l’un, lui aussi prénommé Tony (Taccone) a participé à sa reprise un quart de siècle plus tard. L’interview de Tony Taccone aurait été beaucoup plus intéressante sans les innombrables redondances et fautes d’agencement qui attestent l’amateurisme de l’intervieweur (lequel confond interview et simple transcription, ce qu’une interview, sauf rarissimes exceptions, ne doit jamais être) et le laxisme de son rédacteur en chef.

Angels in America, revised edition
Angels in America, de Tony Kushner : LA pièce de théâtre LGBT la plus marquante du répertoire. ©TCG

Beaucoup plus intéressante est l’évocation, par la jeune génération de dramaturges et d’interprètes (les figures émergentes, selon le cliché en vogue) aux États-Unis, de ce qu’a représenté Angels in America dans leur parcours théâtral, depuis les années de formation jusqu’aux années d’écriture ou d’interprétation. On se doute bien que le panel d’interviews résulte d’une sélection préalable, mais j’ai quand même été surpris par l’impact de cette pièce auprès de cette génération-là : un impact marquant, voire fondateur. Angels in America semble avoir suscité d’innombrables vocations, soit comme déclencheur d’écriture ou d’interprétation, soit comme vecteur de réorientation professionnelle.

On sait combien Angels in America est la pièce de théâtre la plus emblématique pour la communauté LGBT aux États-Unis. Elle a marqué toute la génération qui a connu le triomphe de la version initiale, elle marquera la génération qui va découvrir la reprise de la version remaniée par Tony Kushner, et elle aura marqué les générations qui se sont succédé pendant un quart de siècle.

Que des dramaturges, des metteurs en scène et des interprètes LGBT portent aux nues Angels in America n’a rien de surprenant. Or, presque toutes les personnes interviewées par American Theatre – qui n’est pas un magazine gay – affirment qu’il y a eu, dans leur maturation personnelle et leur parcours professionnel, un avant et un après Angels in America. Venant de « professionnels de la profession » et quelle que soit leur orientation sexuelle, voilà bien le plus bel hommage que l’on puisse rendre à une pièce de théâtre – dont les Tony Awards ne matérialisent que l’écume d’une émotion multigénérationnelle.

Philca / MensGo

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