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(Blogmensgo, blog gay du 21 février 2019) C’est aujourd’hui que sort en librairie Sodoma, un livre-enquête de Frédéric Martel consacré, entre autres, à la place – considérable – de l’homosexualité et des homosexuels dans la hiérarchie catholique du monde entier, en particulier au Vatican. Ce livre-événement fait le buzz depuis deux semaines et toute la presse en parle, donc je me bornerai ici à quelques brèves réflexions autour de ce livre plutôt que sur le livre lui-même (dont je n’ai pas encore lu la moindre page).
Il est rare que l’enquête d’un sociologue et journalistique français fasse l’objet d’une publication simultanée en huit langues et dans vingt pays. Et lorsque ce livre parle ouvertement d’homosexualité, un tel cas de figure se révèle d’autant plus exceptionnel qu’il s’accompagne d’un battage médiatique peu ordinaire – et d’autant moins ordinaire que le livre révèle ce que de nombreuses personnes savaient déjà ou subodoraient plus ou moins depuis longtemps.
Je laisse à chacun le soin de lire ce livre pour en jauger le contenu. L’ouvrage résulte, pour l’essentiel, d’une enquête de terrain et d’entretiens sous le sceau de l’anonymat et du secret. Difficile, par conséquent, de vérifier si une majorité de prêtres et de prélats catholiques sont effectivement homosexuels, et si près des trois quarts des séminaristes le sont aussi.
Cela me rappelle un souvenir personnel qui aurait pu se transformer en épisode douloureux si je l’avais mal vécu à l’époque.
L’histoire se passe après une soirée bien arrosée, dans la chambre d’un ami, Georges (prénom modifié), où quatre personnes se partageaient deux lits à une place. Mon ami a dormi avec sa conquête du soir, tandis que j’étais dans le même lit qu’Alberto (prénom modifié). J’avais 17 ans et Alberto avait au moins huit ans de plus que moi. Alberto partait dès le lendemain pour le séminaire de Marseille (lieu modifié). Mais ce soir-là, il avait envie d’enterrer sa vie de garçon laïque. Il s’est mis à me peloter avec de plus en plus d’insistance, me demandant de le caresser. Et comme je refusais, il m’a mis sa marchandise en main : un engin – je l’ai compris rétrospectivement – comme on n’en voit que dans les films !
Je n’avais jamais encore vu de film porno (le web n’existait pas à l’époque), j’ignorais tout des usages et mésusages du monde, j’étais puceau. Bref, la proie idéale. J’ai clairement refusé et Alberto a fini par me laisser tranquille. La conduite d’Alberto me paraissait imputable à un excès de boisson et je ne lui en ai pas tenu grief. Mais deux ans plus tard, Georges m’a révélé qu’il s’était rendu sciemment complice en me mettant dans le lit d’Alberto alors même que j’avais l’intention de rentrer chez moi. Alberto lui avait dit être fou de moi et de ma dégaine lunaire.
C’était la première fois de ma vie que j’avais tenu en main une autre bite que la mienne. J’avais pris l’initiative malencontreuse d’Alberto pour de simples attouchements de poivrot, donc d’un brave type submergé par son éthylisme. Des gestes inappropriés comme les siens correspondaient en fait à l’actuelle définition juridique du viol. Environ deux ou trois ans plus tard, Alberto m’envoya une carte postale m’informant qu’il avait prononcé ses vœux et allait devenir prêtre ; je ne lui ai jamais répondu.
Que le sous-titre du livre ne soit pas le même en français, en anglais, en espagnol ou en italien, rien que de très normal. Que le livre s’intitule Sodoma en français, en italien et en espagnol, rien là aussi que de très normal. Mais aux États-Unis, pour ne citer que cet exemple, le livre a pour titre et sous-titre In the Closet of the Vatican : Power, Homosexuality, Hypocrisy (Dans le placard du Vatican : pouvoir, homosexualité, hypocrisie).
Pourquoi un titre-choc dans les pays d’Europe latine et un titre feutré aux États-Unis ? Sans doute pour ne pas trop contrarier les évangélistes, créationnistes et autres fous de Dieu, qui pullulent dans ce pays et seraient suffisamment nuisibles pour attenter à la quiétude de la chaîne du livre si elle venait à diffuser un ouvrage au titre trop explicite. On connaît l’incroyable pruderie des Américains – qu’ils tentent d’imposer au reste du monde par l’entremise du commerce en ligne et des réseaux sociaux numériques.
La seconde raison est de nature plus pragmatique, disons plus statistique. Aux États-Unis, où le protestantisme est largement majoritaire, seule une personne sur cinq se dit catholique, selon Wikipedia. Seule l’Église catholique impose le célibat – voire la chasteté – à ses prêtres et prélats. Il pourrait donc être considéré comme outrageant d’imposer un titre-choc en faisant croire que le livre évoque aussi les pratiques des Églises chrétiennes non catholiques.
Le livre de Frédéric Martel explique pourquoi et comment des prélats ont choisi de couvrir des scandales sexuels, en particulier pédophiles, afin de ne pas s’exposer à dévoiler leur propre homosexualité. Autrement dit, des prêtres et prélats gays préféraient tenir des discours ouvertement homophobes plutôt que de dénoncer ou empêcher les actes pédophiles dont ils avaient connaissance.
La tentation a souvent été grande, chez les homophobes, d’établir un lien d’équivalence entre homosexualité et pédophilie. Il est vrai que le mot pédérastie, par son étymologie, a pu entretenir le trouble, de même que de grands écrivains de renom – André Gide, Thomas Mann et tant d’autres – évoquant, par narrateur interposé, des aventures amoureuses à la limite de la pédophilie.
Sodoma paraît la semaine même où une réunion de presque 200 prélats catholique au Vatican s’efforce de mettre un terme aux abus sexuels – en particulier pédophiles – perpétrés et couverts par des gens d’Église. Encore une coïncidence, encore un amalgame.
C’est aussi cette même semaine que sort sur les écrans français le dernier film de François Ozon, Grâce à Dieu. Le film, qui vient d’obtenir le grand prix du jury à la Berlinale 2019, évoque une affaire présumée de pédophilie dans la région de Lyon. L’affaire implique le prêtre Bernard Preynat, qui aurait commis des abus sexuels sur mineurs, et le cardinal Philippe Barbarin, qui aurait choisi de ne pas dénoncer son subalterne. Les deux sommes sont présumés innocents tant que l’affaire n’aura pas été jugée.
Ci-dessous, la bande-annonce du film de François Ozon, Grâce à Dieu.
Mais la concomitance du livre de Martel, du film d’Ozon et de la réunion du Vatican, voilà qui risque d’alimenter encore plus l’amalgame entre homosexualité et pédophilie dans l’esprit de gens crédules ou mal informés – et dans les propos des homophobes.
Il serait grand temps que l’Église catholique cesse d’interdire aux prêtres le mariage et les relations sexuelles (qu’elles soient hétéros ou homos). Les pasteurs protestants peuvent se marier comme bon leur semble et cela ne les empêche pas – bien au contraire – d’officier au service de leur foi, ni leur religion de prospérer dans le monde entier.
En refusant à ses prêtres ce qu’elle accepte pour le commun des mortels, l’Église catholique a mis une chape de plomb sur la sexualité des prêtres et des prélats. La chape se fissure et le livre de Frédéric Martel en explique les effets pervers. L’Église catholique ne manquera pas de séminaristes et de prêtres homosexuels, tant que l’homosexualité sera publiquement interdite ou vilipendée dans leur pays. Mais dès lors que l’homosexualité y sera légalisée ou acceptée, les homos n’auront plus besoin d’utiliser le séminaire ou le presbytère pour y vivre leur homosexualité. Quant aux hétéros, il leur suffit d’intégrer n’importe quelle autre obédience pour vivre eux aussi leur sexualité, sans entrave ni interdiction d’un autre âge.
Quitte à entretenir l’amalgame, je conseille au Vatican d’agir au plus vite et avec force contre la pédophilie dans l’Église, mais aussi contre le célibat imposé aux prêtres et, tant qu’à faire, contre l’interdiction faite aux femmes de célébrer des messes – et aux gays de devenir prêtres.
Philca / MensGo