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(Blogmensgo, blog gay du 11 juillet 2019) Juin 2019 promettait d’être très spécial à double titre. Non seulement cela correspondait à un Mois des Fiertés (ou Pride Month en anglophonie, jusqu’à la Bibliothèque du Congrès) devenu un classique du calendrier festif et revendicatif, mais en plus c’est ce mois-là que l’on célébrait, à New York ou ailleurs, le cinquantième anniversaire des émeutes de Stonewall. Le secteur éditorial n’aura pas attendu la date fatidique pour saluer l’occasion et susciter une floraison de livres plus ou moins commémoratifs, comme on l’a vu dans un récent article. Voici encore quelques autres parutions récentes (ou pas).
Qui se souvient de Myra Breckinridge ? Lorsque j’ai lu le roman qui fit la renommée de Gore Vidal, j’étais sans doute beaucoup trop jeune et j’ai souvenance de n’avoir pas bien compris de quoi il retournait… sans doute parce que mon niveau d’anglais ne me le permettait pas encore.
Vintage International a sorti, en mai 2019, une nouvelle édition de Myra Breckinridge, assortie d’une nouvelle introduction signée par l’icône féministe et transgenre Camille Paglia. L’éditeur suggère astucieusement qu’il s’agit d’une réédition du cinquantenaire, même s’il reconnaît que le livre a bien été d’abord publié en 1968 (plus exactement en février 1968), donc il y a cinquante et un ans et non pas cinquante ans.
Quoi qu’il en soit, je mets ce livre en tête de pile, histoire de lui donner une seconde chance – et en espérant que ce livre mythique vaut mieux que les trop nombreuses fictions historiques de Gore Vidal, beaucoup moins intéressantes que la plupart de ses essais littéraires, sociétaux et politiques.
Qui se souvient des interminables années du journal de Julien Green ? J’en ai jadis arrêté la lecture après seulement quelques centaines de pages, tant cela m’avait paru mièvre, tant les remarques intéressantes se cachaient sous de trop nombreuses considérations banales ou oiseuses, tant le mysticisme du journal est moins supportable que celui de ses romans.
La collection Bouquins, qui célèbre cette année son quarantième anniversaire, signale que le 19 septembre 2019 paraîtra le premier tome du Journal intégral de Julien Green. Intégral, c’est-à-dire non censuré, non expurgé de ses nombreuses notations concernant la sexualité, l’homosexualité et la vie amoureuse de l’auteur – qui n’apparaissaient dans aucune des éditions du journal de Green publiées jusque-là.
Le webzine ActuaLitté a révélé cette information en précisant, photo de couverture à l’appui, que ce premier volume concernera la période 1926-1940. Et de préciser qu’il y aura « environ 60 % de texte supplémentaire ». La pagination n’est pas indiquée, mais on peut présumer qu’elle dépassera largement le millier de pages. Pour comparaison, la même période 1926-1940 s’arrête à la page 549 dans la luxueuse mais chaste édition de La Pléiade.
La vie amoureuse et sexuelle de Julien Green, très présente dans le journal manuscrit, et décrite avec force détails, de façon très explicite, avait été systématiquement omise, autocensurée, anonymisée et finalement très distanciée dans la version publiée.
(Victor de Sepausy, dans ActuaLitté, 21 mai 2019)
Autrement dit, tout un pan du personnage de Julien Green et de sa vie privée – en particulier sexuelle – pourrait bien faire la nique aux mièvreries plus ou moins convenues des précédentes éditions de son journal. Green a souvent dressé le portrait d’auteurs gays ou bisexuels, comme Gide, Mauriac, Cocteau, Montherlant, Jouhandeau et bien d’autres, mais son manuscrit aura été largement « coupé au montage » pour ne pas dire charcuté, suggère à demi-mot Victor de Sepausy dans ActuaLitté. Voilà qui explique peut-être, au moins en partie, pourquoi j’aimais tant le romancier Green alors que le diariste Green me semblait si fade.
Vivement septembre !
Aujourd’hui éditée par le groupe Bloomsbury, l’excellente collection Methuen Drama vient de publier coup sur coup deux pièces de théâtre à thématique ouvertement LGBT. Une bonne nouvelle à plus d’un titre.
La pièce Gently Down the Stream du dramaturge américain Martin Sherman a certes été représentée pour la première fois en 2017 (à New York) et publiée la même année. Ce n’est donc pas une véritable nouveauté. Mais la première londonienne remonte seulement au 13 février 2019 et la deuxième édition du livre date du 22 février en version papier et du 3 mai en version numérique, selon l’éditeur.
La couverture est explicite : il s’agit bien d’une histoire d’amour, mais pas d’une romance hétéro. Au trio amoureux s’ajoutent, en guise de filigranes, une réflexion sur l’évolution des rencontres entre gays par le truchement d’internet et une évocation de figures totémiques grâce auxquelles les droits LGBT commencent enfin à épouser les contours de certains rêves.
En revanche, la pièce Undetectable du dramaturge anglais Tom Wright (à ne confondre ni avec le dramaturge australien, ni avec l’acteur américain, ni avec l’acteur australien homonymes) est beaucoup plus récente : la version papier a été publiée le 12 mars 2019, la générale a eu lieu le lendemain au King’s Head Theatre de Londres, la première deux jours plus tard et la version numérique est apparue le 28 mai, là encore selon Bloomsbury.
Il s’agit là aussi d’une histoire d’amour gay, mais « post-chemsex », donc plus contemporaine et plus ouvertement branchée sur le sexe. Contrairement aux couvertures d’antan, celle d’Undetectable est aussi explicite que le permet l’affichage dans un lieu public tel qu’une librairie ou une bibliothèque : deux mecs torse nu – le bas du corps n’apparaît pas – s’étreignent et sont sur le point de s’embrasser.
Des bibliothèques numériques plus intéressantes que d’autres ont profité du Pride Month pour acquérir ces deux ouvrages et les exposer à la vue de tout le monde, n’en déplaise aux homophobes. Lequel des deux vais-je lire en premier ? Bonne question… La réponse pourrait être : « Aucun des deux, du moins pas avant d’avoir lu Wife de Samuel Adamson.
Le dramaturge australien Samuel Adamson a publié sa dernière pièce non pas chez Methuen mais chez Faber & Faber, l’un des grands éditeurs britanniques de théâtre. La première de Wife remonte à fin mai 2019 et les représentations se terminaient le 7 juillet, donc les impatients n’auront qu’à lire la pièce avant une éventuelle tournée ultérieure.
D’après son compte Twitter, Samuel Anderson est très influencé par – et admiratif de – son confrère Alan Hollinghurst, l’un des auteurs LGBT les plus lus dans le monde, et Wife contient de nombreuses allusions au romancier anglais, dont je découvre, puisque l’on évoque beaucoup Stonewall ici, qu’il a obtenu un Stonewall Book Award en 1989 pour La piscine-bibliothèque (The Swimming-Pool Library) et une nomination en 2005 pour La ligne de beauté (The Line of Beauty).
Pour en revenir à Wife, la pièce relate la vie queer de quatre couples, chacun à une époque différente (1959, 1988, 2019, 2042) et avec pour fil conducteur la pièce d’Ibsen Une maison de poupée (A Doll’s House en anglais). En 1959, par exemple, Daisy hésite entre une vie hétéronormée avec son mari Robert et une vraie vie amoureuse avec Suzannah.
Une pièce « générationnelle » à tous les sens du terme, si l’on en croit la bande-annonce officielle de la pièce…
Pour en savoir plus, on peut aussi regarder cette interview de Sirine Saba (qui interprète le rôle de Suzannah) par Anna Hur.
À noter que la pièce de Samuel Anderson est dédiée à Scott Forbes, qui fut l’un des cofondateurs de Studio One, une célèbre discothèque LGBT de West Hollywood, aujourd’hui dénommée The Factory.
Pour de nombreuses autres propositions théâtrales – toutes en anglais – à thématique LGBT, on lira avec profit cet article d’Alex Wood.
Jessica Kingsley Publishers s’est fait connaître dans l’univers éditorial par la publication de nombreux livres sur l’autisme. Une sous-dominante moins connue de son catalogue concerne l’univers LGBT – et aussi, on s’en doute, les personnes LGBT avec autisme.
Dans The A-Z of Gender and Sexuality : From Ace to Ze, Morgan Lev Edward Holleb répond à l’objectif indiqué par le titre du livre (queer and LGBT+ words) en explicitant les concepts et les événements et en les restituant dans leur contexte historique et sociologique. De fait, l’ouvrage va de A (comme agenre, asexuel(le), aromantique) jusqu’à zucchini, ce dernier mon signifiant « bon(ne) ami(e) mais pas petit(e) ami(e) ». Il n’est pas précisé si le sens originel dérive du mot italien qui désigne la courgette (zucchina, zucchino).
Le vocabulaire LGBTQIA+ évoluant d’autant plus vite que les acceptions se propagent aujourd’hui à la vitesse d’internet, la parution en 2019 d’un tel glossaire était la bienvenue. On apprécie tout particulièrement, dans la version numérique, les renvois hypertextuels de nombreux articles vers des mots et concepts annexes ou connexes. Dommage, en revanche, que les index en fin d’ouvrage ne proposent presque aucune URL non générique ; on se retrouve alors avec des liens de type twitter.com ou theguardian.co.uk qui ne présentent aucun intérêt en soi.
Voici encore deux livres récents consacrés aux émeutes de Stonewall Inn.
Le premier livre est récent sans l’être tout à fait, puisqu’il s’agit d’une nouvelle édition. Signé Martin Duberman et publié chez Plume, Stonewall: The Definitive Story of the LGBTQ Rights Uprising that Changed America correspond à l’édition enrichie et actualisée en 2019 d’un livre publié en 1993. L’introduction est extraite d’un texte publié en 2018 et l’épilogue correspond à un inédit de 2019.
Le livre inclut de nombreuses photos d’époque, toutes en noir et blanc, d’abondantes notes infrapaginales et, pour l’édition numérique que j’ai consultée, un copieux index (des noms, des lieux, des concepts) intégralement cliquable. Bref, ce livre demeure l’une des grandes références concernant Stonewall et ses conséquences, mais aussi – voire surtout – sa genèse.
L’autre livre de référence que je te propose correspond, contrairement à celui de Duberman, à une véritable nouveauté éditoriale de 2019 et à un public en principe plutôt jeune, disons adolescent. Dans The Stonewall Riots: Coming Out in the Streets, publié par Abrams Books for Young Readers, l’autrice Gayle E. Pitman évoque Stonewall et son cinquantenaire à travers 50 objets emblématiques : des photos d’archives, des pancartes, des enseignes, des livres, des dépliants, des vitrines, des émissions de télé, etc. Bref, une évocation par le petit bout de la lorgnette, qui, mine de rien, fait le tour du sujet sans discours sentencieux.
Au fait, Gayle E. Pitman est elle aussi lauréate d’un Stonewall Book Award, mais cette fois-ci dans la catégorie enfants et jeunes adultes (aux États-Unis, l’estampille éditoriale young adult correspond à un public adolescent). C’était en 2015, pour This Day in June.
Les émeutes de Stonewall Inn n’auront pas seulement animé le 28 juin 1969 et les jours suivants dans la ville de New York. Elles ont laissé une trace visible jusque dans la presse généraliste – disons « hétéro » pour simplifier – dans bon nombre de pays occidentaux. Qu’ont en commun les publications Bloomberg Businessweek, Entertainment Weekly, Harper’s Magazine, Le Monde Magazine, Publishers Weekly et bien d’autres encore ? Elles ont toutes consacré un dossier plus ou moins volumineux au cinquantenaire de Stonewall et en ont presque toutes fait leur une.
On n’est plus dans le banal marronnier de trois pages chaque année pour tel Pride Month ou telle Gay Pride locale, mais dans un vrai dossier pouvant atteindre plusieurs dizaines de pages et destiné à la cible relativement vaste d’un public non concerné a priori par les thématiques LGBT. Bien sûr, chaque titre a envisagé Stonewall et la communauté LGBT selon un angle plus familier aux lecteurs, par exemple celui de l’économie dans Bloomberg Businessweek (dont les éditions américaine, européenne et asiatique ont toutes fait leur une sur le cinquantenaire) et celui de l’actualité éditoriale dans Publishers Weekly.
Cette « appropriation » de Stonewall par des médias hétéros et grand public atteste, selon moi, du chemin parcouru en cinquante ans et de l’évolution irréversible des mentalités vers une meilleure acceptation de l’homosexualité et des personnes LGBT, malgré quelques phases régressives ici ou là. Gageons que dans beaucoup moins de cinquante ans, les grands magazines d’Asie, d’Afrique subsaharienne et du monde arabe titreront d’une manière positive sur Stonewall et sur les thèmes LGBT comme leurs confrères occidentaux l’ont fait ces dernières semaines.
Qui se souvient de l’écrivain américain John Rechy ? Il eut son heure de gloire du début des années 1960 jusqu’à la fin des années 1990. Il est revenu sur le devant de la scène depuis 2017, son roman After the Blue Hour ayant obtenu en 2018 un Lambda Literary Away dans la catégorie fiction gay. En 2018, un éditeur a même publié le premier roman de Rechy, jusqu’alors inédit et intitulé Pablo! – une preuve tangible que l’auteur, presque nonagénaire, est redevenu à la mode.
Le retour au premier plan de John Rechy date de 2013, lorsque Grove Press a republié City of Night dans une édition du cinquantenaire accompagnée d’une postface inédite de l’auteur. C’est dans City of Night que Rechy évoque les émeutes de Cooper Do-nuts, dont il fut lui-même l’un des protagonistes.
Cooper Do-nuts était un café ouvert jour et nuit dans le centre-ville de Los Angeles, où une nombreuse clientèle LGBT – en particulier trans – avait ses habitudes. En mai 1959, excédés par le harcèlement policier incessant, des clients se sont rebellés au moment où trois clients, dont John Rechy, se faisaient embarquer par les flics, sur qui ils balancèrent tout ce qu’ils avaient à portée de main, à commencer par des donuts, des tasses à café et des tasses de café.
Telles furent, dix ans avant Stonewall Inn, les émeutes de Cooper Do-nuts. Pas tout à fait des émeutes, à Los Angeles, puisque la rébellion n’y dura que quelques heures, mais un événement suffisamment puissant pour marquer les esprits et faire date dans la littérature.
Entre Myra Breckinridge de Gore Vidal et City of Night de John Rechy, lequel vais-je (re)lire en premier ? Peut-être bien les deux en même temps…
Post-scriptum. Réflexion faite et pour me mettre en appétit, je vais plutôt commencer par The Ritz, de Terrence McNally. Cette comédie raconte l’aventure d’un type qui atterrit par erreur dans une boîte de nuit gay qu’utilise par la mafia comme repaire, à une époque où l’homosexualité était illégale et où les établissements LGBT étaient gérés par la pègre en raison de leur caractère plus ou moins clandestin. Imaginons que ce type ait atterri, sans d’abord en comprendre l’enjeu, à Stonewall Inn un certain 28 juin 1959… 😉
Philca / MensGo