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(Blogmensgo, blog gay du 5 février 2020) Tous les amateurs de clichés le savent : le mieux est l’ennemi du bien et la vengeance est un plat qui se mange froid ; faute de quoi, l’arroseur se fera arroser. C’est ce qui est arrivé en marge de l’Open d’Australie 2020, où la classique histoire de l’arroseur arrosé s’est transformée, par une variante tennistico-LGBT, en histoire de l’arroseur arrosé par l’arroseur. Une histoire de tennis à trois têtes de série : Margaret Court, Martina Navrátilová, John McEnroe. Où la vertu a perdu un match en sortant la balle du terrain après avoir cru faire un ace contre le vice. Explications.
Résumons l’affaire sans entrer dans les détails – donc en deux sets gagnant.
Ancienne joueuse de tennis australienne, Margaret Court détient le record de titres gagnés en Grand Chelem, soit 24 titres dont 11 Open d’Australie (là aussi un record). Margaret Court, la plus grande championne de tennis de tous les temps en Australie et peut-être dans le monde entier, a donc en toute logique donné son nom à la Margaret Court Arena de Melbourne depuis 2003.
Margaret Court a gagné le premier set.
Dès 2012, les déclarations virulentes et ouvertement homophobes, lesbophobes, biphobes et transphobes de Margaret Court ont provoqué un tollé. Des personnalités ont réclamé que la Margaret Court Arena soit débaptisée. Les protestations se sont amplifiées à mesure que, sous prétexte de croyance religieuse, Margaret Court intensifiait son pilonnage LGBTphobe avant la tenue du référendum postal sur le mariage gay et après sa légalisation en Australie. Le court Court n’a pas été débaptisé, mais l’ex-championne a été décrédibilisée.
Margaret Court a perdu le deuxième set.
Margaret Court a exigé que l’on célèbre le cinquantième anniversaire de son Grand Chelem australien, obtenu en 1970, avec autant de faste et de solennité que l’on avait fêté en 2019 le cinquantième anniversaire du Grand Chelem australien de son compatriote Rod Laver. Une cérémonie solennelle a bien eu lieu et deux invités de marque, Martina Navrátilová et John McEnroe, ont profité de la célébration pour brandir un calicot où s’affichait, en pointillisme arc-en-ciel, Evonne Goolagong Arena.
Autrement dit, lors d’une cérémonie officielle que les instances du tennis avaient réduite à de modestes proportions, d’immenses gloires du tennis mondial ont réclamé que le nom d’une immense gloire du tennis australien soit remplacé par celui d’une autre immense gloire du tennis australien. Ce coup d’éclat a été jugé excessif, contraignant Navrátilová et McEnroe à présenter des excuses.
Jeu, set et match pour Margaret Court.
Martina Navrátilová et John McEnroe n’auraient jamais dû perdre le match face à Margaret Court ; pas seulement parce qu’ils sont deux et qu’ils sont plus jeunes qu’elle. Ils ont vendangé des balles faciles en smashant quand un amorti eût amplement suffi. Erreur fatale, tant par son ineptie que par son manque de psychologie. Une vraie faute de débutant, indigne du haut niveau professionnel et sportif.
On peut fort bien comprendre que Martina Navrátilová ait voulu se venger ainsi des ignominies que Margaret Court avait jadis proférées à son encontre. Comme celle-ci, que rappelle Wikipedia :
[Martina Navrátilová], a great player but I’d like someone at the top who[m] the younger players can look up to. It’s very sad for children to be exposed to homosexuality[…].
[Martina Navrátilová], une grande joueuse, mais je préférerais quelqu’un au top pour qui les enfants puissent avoir du respect. C’est très triste que les enfants soient exposés à l’homosexualité […].
Margaret Court, 1990
Je comprends parfaitement le ressentiment de Navrátilová, qui fut, de même que McEnroe, l’une des idoles de ma jeunesse. Mais leur happening s’est révélé ô combien contreproductif.
Psychologiquement, il était stupide d’exiger le renommage d’une enceinte sportive au moment même où l’on y honorait celle qui lui avait donné son nom. Les instances sportives ont plutôt bien joué leur partition en traînant des pieds pour organiser la célébration, puis en la cantonnant à un protocole vaguement minimaliste.
Il eût été plus raisonnable – et, médiatiquement, plus productif – de manier l’ironie et la dérision plutôt qu’un combat frontal sans discernement.
Comment faire ? C’était pourtant simple.
Primo, offrir des parures arc-en-ciel aux personnes dans les gradins et – surtout – dans les tribunes. Des parapluies arc-en-ciel, des tenues de drag-queen, le nom de Margaret Court s’affichant lettre par lettre sur les tenues du public dans des couleurs manifestement LGBT+. Quatorze personnes auraient suffi à former une chaîne M-A-R-G-A-R-E-T🏳️🌈C-O-U-R-T avec un drapeau ou t-shirt arc-en-ciel entre le prénom et le nom.
Secundo, faire prononcer les discours et faire remettre les médailles, breloques et autres colifichets par d’anciennes gloires du tennis qui assument haut et fort leur homosexualité. Par exemple Martina Navrátilová, et l’on sait combien cela eût rempli d’horreur – et de ridicule – cette vieille homophobe de Margaret Court. Ou encore par Billie Jean King (qui fit son coming out juste avant celui de Martina, me semble-t-il), une icône du militantisme LGBT que la vieille Australienne eût perdu la face à embrasser devant les caméras du monde entier.
Tertio, achever la cérémonie par une grande danse LGBT, les garçons dansant avec les garçons et les filles dansant avec les filles.
Quarto, tenir des discours multipliant les allusions perfides à la sottise de certaines personnes, quel que soit leur palmarès tennistique. La religiosité et le fanatisme de Court en eussent sans doute pris pour leur matricule.
L’exposition d’une scène d’affrontement, aussi forte ou violente qu’elle soit, ne mobilise l’attention du public et des médias que fort peu de temps. Un conflit chasse l’autre. Mais quand il s’agit du mariage (homo) de l’ironie et de l’humour, nul doute que les médias et le public en redemandent, tant l’effet d’un tel mariage euphorise les zygomatiques. Le happening Navrátilová-McEnroe n’a duré que le temps d’une photo, d’un flash radio ou d’un journal télévisé. Une méthode plus subtile d’humiliation de la vieille chipie homophobe eût pu devenir virale sur les réseaux sociaux et plus mémorable dans les esprits, même chez les plus homophobes d’entre eux.
Du 30 janvier au 2 février 2020 se tenait le Festival de la bande dessinée à Angoulême. Le président français Emmanuel Macron – qui se pique de culture malgré la faible considération de son gouvernement pour les gens de lettres – a profité de sa présence à la 47e édition du festival pour déjeuner avec des auteurs et illustrateurs de bande dessinée (BD). Mal lui en a pris.
Juste après le repas, le dessinateur Jul et le président Macron ont immortalisé l’événement en tenant ensemble un t-shirt où l’inscription BD 2020 était précédée d’une lettre rouge sang L, sous un dessin représentant un animal salement amoché pour l’occasion. Autrement dit, le petit chat illustrant le salon de la BD 2020 s’est transformé en victime de LBD, alias lanceur de balles de défense, un engin qui symbolise pour beaucoup certaines violences policières et les abus de droit que pratiquent certaines autorités policières, militaires ou préfectorales.
Le chef de l’État, posant en compagnie d’un auteur emblématique, s’est donc retrouvé à brandir le symbole d’une répression que ses opposants affirment être téléguidée de très haut. Jul n’a nullement contesté le statut présidentiel de Macron, contrairement à Navrátilová et McEnroe qui niaient à Court son statut de championne. Mais Navrátilová et McEnroe ont pitoyablement échoué dans leur tentative de sécession, alors que Jul s’est ouvertement fichu de Macron avec la complicité involontaire de Macron.
Il paraît que Macron était au courant de ce qu’il tenait en main et qu’il n’a été la dupe de personne. C’est du moins ce qu’il a affirmé a posteriori. Mais à vrai dire, peu importe. La manière dont Jul a rusé était bien plus finaude que le manège dérisoire de Navrátilová et McEnroe, manifestement plus inspirés sur le court qu’en dehors.
Se moquer de Margaret Court d’une manière plus intelligente qu’en janvier 2020, John McEnroe l’avait fait en juin 2017, à l’occasion d’une chronique aussi drôle qu’ironique. La preuve en vidéo :
Je ne nie pas qu’un petit happening soit salutaire de temps à autre, mais je pense que la contestation en finesse, bien souvent, se révèle plus persuasive que la gloriole à gros sabots. De même ne me viendrait-il pas à l’esprit de priver cette homophobe de Margaret Court de ses titres et des récompenses qu’ils méritent, ni d’interdire la publication des bouquins de ces pédophiles de Tony Duvert et Gabriel Matzneff, ni de brûler les livres de ces collabos de Sachs, Rebatet ou Drieu La Rochelle. On peut parfaitement récompenser les victoires et publier les écrits d’une personne tout en précisant bien en quoi cette personne est au moins aussi méprisable qu’honorable : par des allusions ironiques ou sarcastiques dans le cadre d’un discours, par des avertissements, avant-propos ou appareils critiques dans le cas d’un livre, par des bandeaux ou inserts avant ou pendant une émission en direct ou en différé.
Mais en contrepartie de cette liberté de parole, d’écriture et d’action, il convient d’instituer des garde-fous susceptibles de faire tomber sous le coup de la loi tout mot, tout écrit, tout acte répréhensible au regard de la loi. C’est pourquoi je pense – même si les deux stratégies ont leur importance – qu’il vaut mieux miser sur la lutte pour l’égalité des droits et contre les discriminations que sur les attaques ad hominem contre des illuminés, aussi médiatiques soient-ils.
Voilà pourquoi il faut se battre avant tout pour que la loi considère les LGBTphobies, au même titre que le racisme, l’antisémitisme ou la xénophobie, comme de véritables délits et, a priori, comme des circonstances aggravantes de crime ou délit, d’agression physique ou verbale, d’injure ou de diffamation.
Toute illustre championne qu’elle soit, Margaret Court devrait répondre de ses outrances et de ses provocations homophobes non pas devant le gotha du tennis, mais devant un tribunal. Faudrait-il encore que la loi australienne le permette et, le cas échéant, qu’elle soit appliquée sans passe-droit.
Philca / MensGo