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(Blogmensgo, blog gay du 12 mars 2020) L’une évoque son coming out, ses conséquences calamiteuses à court terme et le changement de vie qui s’ensuit. L’autre relate un coming out en train de se faire. Le récit de Constance Debré, Love me tender et le roman de Brigitte Giraud, Jour de courage, partagent trois éléments : une relative brièveté, l’évocation d’une sortie de placard et de ses répercussions, une écriture inspirée. Les deux œuvres figurent parmi mes coups de cœur des rentrées littéraires de septembre 2019 (Giraud) et janvier 2020 (Debré), et – simple coïncidence – elles sont parues chez Flammarion, de même que le troisième livre évoqué à la fin de cet article. Le roman de Brigitte Giraud est aussi captivant, mais un peu moins ambitieux que celui de Wendy Delorme dont on avait parlé ici, tandis que la personnalité hors norme de Constance Debré et sa qualité d’écriture préfigurent à mes yeux une œuvre majeure dont le prochain livre esquissera peut-être la trajectoire.
Constance Debré a quitté une vie bourgeoise et balisée d’avocate pénaliste dans le quartier parisien ultrachic des éditeurs, pour la vie impécunieuse d’une femme qui affiche enfin sa liberté, son homosexualité et son besoin d’écrire. Entre les deux, il y a un gouffre et une continuité. Le gouffre d’un mariage rompu, d’un divorce haineux, d’un enfant arraché à sa mère. La continuité d’une vie en marge du conformisme, où l’avocate mettait naguère la société devant ses responsabilités en ne défendant que des infréquentables (violeurs, voleurs et assassins) et affronte aujourd’hui sa famille et les services sociaux en balançant son homosexualité à la figure de leur homophobie et de leur misogynie.
Malgré un nom – Debré – bien connu dans le microcosme français de la médecine et de la politique, Constance a perdu la garde de son fils. Les manigances de son ex-mari et la complaisance d’une administration plus soucieuse du respect des apparences sociales que du bien-être de l’enfant ont transformé sa lutte pour le droit maternel en une guerre d’usure indigne du prétendu berceau des droits de l’homme.
Quoi qu’il en soit, Constance Debré s’est peu à peu dépouillée de tous les indices matériels de sa vie antérieure. Elle a choisi de vivre au présent, d’assumer son homosexualité et de vivre pleinement sa sexualité. Elle narre, sans effets de manches, sa vie désormais plus frugale, mais plus libre, sans doute plus épanouie et sexuellement aussi trépidante que celle de Julien Green dans son Journal en version intégrale non expurgée.
Pourquoi Love me tender ? Au-delà de l’allusion – non pertinente – à Elvis Presley, le titre du livre en constitue aussi le fil rouge : la recherche quotidienne, obstinée, récurrente de l’amour ; amour de la mère pour son fils, de la femme pour ses amantes (en lieu et place de l’amour conjugal hétéro), de la fille pour son père, amour platonique et amours physiques…
Pourquoi j’ai aimé ce livre. La prose de Constance Debré, comme celle de Christine Angot (autrice aussi surévaluée que Michel Houellebecq), ne nécessite ni culture particulière ni possession d’un dictionnaire. Les mots sont simples, les phrases sont courtes et l’on ne se refuse pas à évoquer crûment des coucheries et même des sodomies.
La différence tient à la personnalité et au talent. Chez Debré, l’apparente simplicité de l’écriture masque à peine un esprit raffiné, une structure intellectuelle de haut rang et une pensée complexe. Rien de comparable avec le simplisme de l’écriture et la vacuité du discours que j’entrevois chez Angot.
Surtout, les mots de Constance Debré attestent une vraie urgence à écrire, sans faux-semblants ni conformisme. Sa prose acérée s’enfonce comme autant de flèches dans les flancs d’une société qui continue de rancir dans ses mœurs d’un autre âge, pour qui la femme valait peu et la lesbienne encore moins, pour qui la femme ne représente plus tout à fait un homme à jupons et la lesbienne pas encore tout à fait une femme à part entière. Ce cri du cœur et cette urgence à écrire ont suscité un coup de cœur et une urgence à lire. En espérant la parution, à brève échéance, du prochain livre de Constance Debré.
• Constance Debré, Love me tender. Flammarion, 2020, 192 pages, 18 € (papier) ou 13 € (ebook).
Le roman de Brigitte Giraud ne présente presque aucun point commun avec le récit de Constance Debré, hormis la place majeure du coming out, élément déclencheur d’une disparition dans les deux cas : Debré disparaît du monde des hypocrites hétéronormants et le personnage principal de Giraud disparaît aussitôt après un coming out en public.
Brigitte Giraud raconte comment Livio, un lycéen de 17 ans, s’appuie sur un exposé scolaire pour fusionner son histoire et l’Histoire, pour faire entrer l’Histoire dans sa propre vie et pour sortir du placard en même temps.
Tout est dit dès les premiers paragraphes : Livio disparaîtra après avoir expliqué comment Magnus Hirschfeld devint successivement la bête noire des nazis et une icône LGBT. À 17 ans, on ne connaît qu’imparfaitement sa propre sexualité et l’on ne connaît de la vie et de l’œuvre du médecin et sexologue allemand Magnus Hirschfeld que des bribes, à supposer que son nom dise quelque chose aux jeunes d’aujourd’hui.
De fait, aucun condisciple – et peut-être même pas la prof d’histoire – ne connaissait le nom de Hirschfeld avant l’exposé de Livio. Un exposé initialement consacré à la genèse du premier autodafé des nazis, en 1933, que Livio transformera en séance de coming out implicite, avec pour catalyseur la vie et l’œuvre de Magnus Hirschfeld.
Les trois paragraphes ci-dessus ne doivent pas faire oublier une qualité majeure de l’autrice : son roman se lit au pas de charge et tient son lectorat en haleine jusqu’à la fin de l’exposé de Livio, qui compose l’intégralité de la première partie du livre. Une seconde partie, quatre fois plus courte, se penche sur les causes de la disparition de Livio avant de se conclure par un épilogue qui préfère solliciter l’imagination du lecteur plutôt que livrer des interprétations toutes faites.
Pourquoi j’ai aimé ce livre. Brigitte Giraud possède l’art de camper une scène, des personnages et une progression dramatique en peu de mots et à un rythme soutenu. Elle utilise un ingrédient narratif et sociologique astucieux : la classe de Livio comme résumé et miroir de la société dans son ensemble, avec ses personnages gays, hétéros, friendly, homophobes, bigots, indifférents, ouverts, altruistes, dangereux, etc. Ce n’est pas par hasard si je fais se côtoyer les substantifs homophobe et bigot, comme on le constate aussi en lisant Jour de courage.
On pourra sans doute reprocher à Giraud d’avoir produit une seconde partie beaucoup moins captivante que la première, comme si elle avait hésité entre soit conclure son histoire juste après la fin de l’exposé de Livio, soit la prolonger en donnant au coming out une suite plus circonstanciée.
Mais l’intérêt du sujet, le rythme de la narration et le talent de l’autrice font de ce livre un fort agréable moment de lecture. On notera en outre que, sans être un roman pour ados, ce livre plaira à un très large public d’adultes et de jeunes.
• Brigitte Giraud, Jour de courage. Flammarion, 2019, 160 pages, 17 € (papier) ou 14 € (numérique)
J’ajoute in extremis à cette recension un troisième livre, découvert par hasard à l’occasion d’une recherche sur le site web de Flammarion. Le sujet ressemble étrangement à celui de Constance Debré : une femme d’un milieu aisé et conservateur quitte son fiancé pour vivre avec une femme.
Il s’agit en l’occurrence d’un récit de Marie-Clémence Bordet-Nicaise, dont le titre On ne choisit pas qui on aime (aussi banal que celui de Debré) est moins parlant que le slogan qui l’accompagne : « Je suis chrétienne, bourgeoise et mariée avec une femme. »
Suis pas trop branché par le côté religion, mais une interview de Marie-Clémence Bordet-Nicaise dans Madame Figaro remet les bigots – homophobes – à leur place. Et puis, évoquant le fait que la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes n’est pas encore légale en France, l’autrice dénonce l’une des absurdités du système administratif français :
Lors de notre mariage, on nous a remis un livret de famille mais c’est absurde puisqu’on ne nous donne pas le droit d’en fonder une.
C’est le corps de Marie-Clémence qui a porté l’enfant du couple, mais son épouse Aurore n’est pas, au regard de la loi française, considérée elle aussi comme la mère de l’enfant tant qu’elle n’a pas fait une demande d’adoption plénière. Autrement dit, la mère qui n’a pas porté l’enfant ne devient mère aux yeux de la loi qu’au terme d’une année de procédure – soit une gestation administrative de douze mois.
• Marie-Clémence Bordet-Nicaise, On ne choisit pas qui on aime. Flammarion, 2019, 272 pages, 19 € (papier) ou 14 € (numérique).
Philca / MensGo